Warning: The magic method SimpleSocialMediaStream::__wakeup() must have public visibility in /customers/9/3/7/grumiaux.be/httpd.www/libraries/ess/SimpleSocialMediaStream.php on line 74 Renelde Cheron-L'Hoost - Fondation Arthur Grumiaux
Warning: "continue" targeting switch is equivalent to "break". Did you mean to use "continue 2"? in /customers/9/3/7/grumiaux.be/httpd.www/templates/fag2021qua/functions.php on line 199

Témoignage : Renelde Cheron-L'Hoost

Secrétaire générale et auparavant archiviste de la Fondation Grumiaux.
Grande admiratrice de Grumiaux, elle a assisté à de très nombreux concerts du violoniste et plus particulièrement dans le cadre du Festival de Stavelot (Belgique).

 

A la recherche d'un disque unique…
J'aimerais raconter une histoire liée au compositeur liégeois Pierre Froidebise.
Cela remonte aux années avant… bien avant la guerre. Monsieur Froidebise invite chez lui quelques violonistes et pianistes à faire la lecture d'une pièce qu'il vient de composer. Léon Degraux, pianiste résidant à Liège, vient avec Arthur Grumiaux - tout jeune à l'époque.
A la fin de la séance, les musiciens, tant violonistes que pianistes, ne cachent leur manque d'intérêt pour l'œuvre et partent… au grand désappointement de Froidebise. Pourtant, piqué au jeu, Léon Degraux demande la permission d'emporter les partitions pour les travailler avec le jeune Grumiaux. Froidebise ayant accepté, les deux amis partent et travaillent pendant quelques semaines.
Léon Degraux par après reprend contact avec le compositeur ; les trois se retrouvent à Liège pour exécuter l'œuvre devant le compositeur.
Celui-ci ravi de l'exécution décide d'en faire réaliser un enregistrement… étant entendu qu'il n'y aurait que trois disques : un pour Froidebise, un pour Degraux et un pour Grumiaux. Ce morceau s'intitule "Poème pour piano et violon".
Alors maintenant voici la demande : avec Anne Froidebise, la fille du compositeur, nous recherchons l'enregistrement original…
Moi j'en ai bien une copie, mais qui a été faite… il y a bien des années.
Nous savons que le disque de Degraux a disparu après son décès… on l'a certainement mis à la poubelle, on ne sait pas précisément. Celui de Grumiaux a brûlé lors de l'incendie qui a eu lieu dans sa villa. Donc théoriquement, seul subsiste l'exemplaire de Froidebise.
Depuis son décès, sa fille Anne cherche à retrouver cet enregistrement unique. Nous voudrions bien pouvoir en faire un CD : la copie du disque que j'avais effectuée sur cassette audio à l'époque où monsieur Degraux – qui était un ami – m'avait passé son exemplaire auquel il tenait pourtant comme à la prunelle de ses yeux, cette copie, selon Nicolas Bartholomé, n'est pas d'une qualité suffisante pour en faire un "master" correct. Il nous faut retrouver ce disque.
J'ai l'adresse de la maison d'édition de l'époque… au cas-où : Studio du Disque, rue de Stassaert 34, Bruxelles. Et le numéro du disque était le : 3639.

"Enregistrement à froid"…
Egalement à propos d'un enregistrement : un jour Grumiaux devait enregistrer chez Philips - toujours à Baarn, en Hollande - et lors d'entretiens préliminaires on lui demande, l'ingénieur du son vraisemblablement : "Pourriez-vous jouer sans répétition la Sérénade Mélancolique de Tchaïkovski ?" Grumiaux répond oui, oui.
Le jour venu, peut-être deux mois ou trois mois après, il va enregistrer ce disque - je ne sais pas lequel ? Peut-être le Mendelssohn - et à la fin de la session il restait donc un espace libre. Alors on lui demande à nouveau : "Ecoutez, est-ce que vous pourriez jouer la Sérénade Mélancolique ?" "Oui, sans problème", dit-il.
Et ainsi il commence à jouer… heureusement, l'orchestre ne s'arrête pas, lui non plus.
Et quand tout est fini et qu'il demande à revoir tel point ou tel point pour corriger l'interprétation, on lui a répondu : "Non c'est trop tard, c'est enregistré".
Si bien que ce que nous avons sur le disque, c'est quelque chose qui a été donc pris à froid - si j'ose dire. Sans répétition avec l'orchestre et c'est pourtant un enregistrement magnifique, voilà une chose qui était bonne à souligner.

Un apprentissage dans la continuité de l'école belge de violon – (versus l'"école franco-belge")
Je voudrais parler quelque peu de cela… parce qu'en fait d'école franco-belge du violon comme d'aucuns disent, il s'agirait plutôt de parler à tout le moins d'école belgo-française… En fait, si l'on suit la lignée de violonistes regroupés sous cette appellation, à part de rares exceptions, tous sont en fait belges !
L'école belge de violon à cette époque-là avait un renom extraordinaire - dans le monde entier. Maintenant, évidemment, c'est peut-être différent… je n'en sais rien. Nous ne parlons pas de maintenant.

Arthur Grumiaux, lui, était très attaché à son pays, la Belgique en l'occurrence, et surtout à la Wallonie, je ne le cache pas.
Vous savez qu'il a fait ses études à Charleroi. Son grand-père était de Fleurus et les premiers rudiments de violon c'est ce grand-père qui les lui a inculqués, ensuite il est allé au Conservatoire de Charleroi. Mais lorsque le grand-père a voulu le présenter là-bas - Arthur était encore tout gamin - et le directeur, qui était Hermann Henry à l'époque, a dit : "Non il est beaucoup trop jeune. Moi je ne peux pas l'accepter, il n'a pas l'âge". Le grand-père a néanmoins insisté : "Ecoutez-le quand même". Ce qu'il a fait, il a donc écouté l'enfant un moment… il a joué je ne sais pas quoi.
Ensuite, il a pris l'enfant par la main et il l'a conduit avec son violon dans toutes les classes. Il aurait dit : "Voilà un enfant dont on va faire un musicien extraordinaire". Il l'a donc pris tout jeune, c'était sa maman ou sa tante ou encore sa marraine qui l'accompagnait : il ne pouvait aller seul.
Ce Monsieur Henry a joué un rôle considérable dans sa vie parce qu'étant lui-même très musicien, il a su percevoir tout de suite les dons exceptionnels qu'il avait.
Il a aussi contribué à éduquer Arthur Grumiaux non seulement en musique mais aussi en présentation. Bien que je n'aie pas connu monsieur Henry, j'étais l'élève favorite - si j'ose dire, de sa seconde épouse qui était professeur de français. C'est elle qui m'a raconté ces détails de cette lointaine enfance. Hermann Henry emmenait donc parfois Grumiaux chez son tailleur et il lui offrait un vêtement - vous voyez, pour l'initier à l'élégance et aussi au maintien, au savoir-vivre, etc.
Donc, ce Monsieur Henry a joué un grand rôle dans la vie de Grumiaux et à la fin ses études au conservatoire, c'était en 1932, que l'enfant termine avec tous les premiers prix, violon, piano, solfège, etc. tout ce qu'on peut faire au conservatoire, il lui a dit : "Maintenant, tu dois aller à Bruxelles bien sûr. Et là-bas je veux que tu sois élève d'Alfred Dubois"… lui-même élève, comme vous le savez, d'Eugène Ysaye.
Puis il a fait des démarches : il est allé au Ministère trouver je ne sais qui… un Ministre même ! Parce que vous le savez peut-être on n'a pas le choix lorsque l'on va au Conservatoire : on vous indique directement une classe - à prendre ou à laisser. Mais ici on a décidé, on a trouvé que c'était chez Dubois qu'il devait aller - Monsieur Henry a remué ciel et terre et il est parvenu à le faire entrer chez Dubois…
Naturellement celui-ci était enthousiasmé d'avoir un tel élève, mais il n'avait pas son mot à dire ! Donc il a finalement pu accueillir le jeune Grumiaux dans sa classe et il n'a pas tardé à le prendre en amitié.
Dans les années 40, pendant la guerre, Grumiaux ayant terminé ses études - durant lesquelles, il a d'ailleurs accumulé distinctions et prix - Dubois l'a pris comme assistant. Rôle qu'il remplira jusqu'en 1949, date de la mort d'Alfred Dubois. A ce moment Grumiaux lui succédera comme professeur.

Le vent du Liban
Au Liban en 1957, Grumiaux joue en plein air le redoutable Concerto de Beethoven. Vous savez, c'est LE Concerto, le grand Concerto, celui qui fait trembler tous les candidats au Reine Elisabeth. Il fait un vent terrible, il joue dehors, son habit est secoué dans tous les sens ainsi que l'archet qu'il parvient néanmoins à maîtriser juste au bon moment… Il est tombé juste à l'endroit où il fallait, au bon moment… ce n'est peut-être pas important mais enfin afin d'illustrer la maîtrise qu'il avait de son archet.

"Castagnone à Palerme"
Ceci est anecdote que Grumiaux racontait en s'appuyant sur une photo d'un magasine où l'on voyait une salle de concert entièrement pleine, avec le public qui est là et qui attend... Le pianiste est sur la scène avec sa partition mais le piano est encore fermé… et on voit un régisseur se servant d'un grand trousseau de clés s'évertuer à essayer d'ouvrir le dit piano…
Grumiaux avait écrit comme légende "Castagnone à Palerme"…
Cela se passe donc en Sicile avec Castagnone qui était claveciniste - et parfois pianiste. Ils devaient jouer ensemble, un récital.
Alors qu'ils étaient occupés à disputer une partie d'échecs dans leur chambre d'hôtel, deux messagers - tout de noir vêtus, nous étions bien en Sicile - viennent leur annoncer le décès du directeur du concert.
Les deux musiciens croient le concert annulé. Ils se trompent…
Non, l'ennui est qu'on ne trouve pas les clés du piano. Le mort devait les porter sur lui lorsqu'il est tombé en pleine rue, foudroyé ! Alors que va-t-on faire ?
Les deux musiciens sont finalement conduits à la morgue afin d'y fouiller les poches du mort et tenter d'y retrouver les précieuses clés. Après ce macabre office, le concert eu bien lieu.

A la recherche d'enregistrements rares… Double de Brahms, Triple de Beethoven et Sibelius pour violon
Un jour la firme Philips avait proposé à Grumiaux d'enregistrer le Double de Brahms… donc c'est violon/violoncelle.
Grumiaux était d'accord mais uniquement avec Maurice Gendron comme partenaire. Cela ne convenait pas à Philips, qui fait des contre-propositions… qu'il refuse : "C'est avec Gendron ou rien". Il n'a jamais enregistré ce disque-là.
Mais il se fait que depuis - comme j'ai tous les documents, j'ai tous les concerts etc. - j'ai fouillé. J'ai écrit en France aux endroits où il avait joué ce que nous n'avions pas comme enregistrements : le Double de Brahms, le Triple de Beethoven et le Sibelius pour violon. Parfois on ne vous réponds même pas en France, parfois on se demande si cela vaut la peine d'encore essayer.
En Allemagne là ils ont été plus polis. Après un an d'attente, ils m'ont répondu de Hambourg. C'était à Hambourg qu'il avait joué ce Concerto - avec Maurice Gendron justement, et précisément là, à Hambourg, dans la ville où est né Brahms - c'est assez touchant.
Et donc ainsi j'ai retrouvé un enregistrement de ce fameux Double. Après beaucoup d'histoires, de multiples démarches, j'ai obtenu une copie de cet enregistrement. Donc c'est de Radio Hambourg en 1976 et sous la direction Wakasuki. Nous n'avons malheureusement pas obtenu l'autorisation de mettre dans le commerce des copies CD de cet enregistrement.
Donc à l'heure actuelle, je suis toujours à la recherche de quelqu'un qui pourrait m'indiquer - on ne sait jamais - où je pourrais trouver un enregistrement du Sibelius, du Triple de Beethoven et peut-être même du Double. J'ai fait toutes les démarches, j'ai tout fouillé, j'ai écrit partout, partout… Mais je n'ai pas de nouvelles à part là-bas, à Hambourg, où ils m'ont répondu que Grumiaux a bien joué le Sibelius chez eux, mais qu'ils ne l'ont pas enregistré. C'est fort dommage parce que eux me l'auraient donné…

La préparation du concert
Le jour où Arthur Grumiaux avait un concert à donner, il ne mangeait pas. Il buvait un verre d'eau ou deux verres d'eau, il demandait également qu'il y ait une bouteille d'eau dans sa loge. Il entrait furtivement dans le bâtiment abritant la salle de concert, il ne voulait voir personne, ne voulait pas serrer de mains avant de commencer parce que cela dérangeait quelque chose dans le poignet d'après lui - la main droite qui tient l'archet. Dans sa loge là-bas il n'essayait pas de jouer ce qu'il avait à jouer, il jouait uniquement du Bach, qui lui amenait la sérénité indispensable. Il jouait Bach uniquement, Sonates, Partita.
Il entrait dans la salle de concert, mais naturellement le matin il avait préparé cela avec l'orchestre ou avec un pianiste bien entendu durant les répétitions, ou la veille cela dépendait des disponibilités de ses partenaires. Mais avant le concert il ne voulait voir personne, il restait tout seul dans sa loge à faire du Bach, pour se mettre en condition.
Du reste une année - cela c'est dit dans le livre de Dom Adrien – mais il faut quand même le redire, il veut remplacer une corde à son violon - j'étais là, c'était au Festival de Stavelot - et en faisant l'opération, son canif glisse et blesse le majeur de sa main gauche - celle qui fait les notes sur les cordes ! Il se fait une estafilade - pas tellement importante, mais quand même.
Il se demande que faire et, nous voyant, il nous fait signe à mon mari et à moi - nous étions dans le couloir là-bas comme toujours avant les concerts, et on se demande ce qui lui arrive, lui qui d'habitude il ne se montrait pas au public - il cherchait quelqu'un, il nous voit et nous fait signe. Nous entrons dans sa loge et il dit : "Ecoutez, je suis très ennuyé pour mon histoire de doigt" - on lui avait mis un sparadrap un peu spécial, un médecin lui avait mis cela, mais néanmoins il ne sentait pas les cordes de la même manière - et il dit : "Je pourrai faire tout le programme prévu sauf un Quatuor de Beethoven. Celui-là je ne pourrai pas le jouer parce que le majeur est très sollicité, je ne pourrai pas mais il faudrait l'annoncer au public. J'ai demandé à Raymond Micha, le président du concours, de l'annoncer au public mais il ne veut pas, il a dit que c'est à moi de le faire"…
Mais il avait une sainte horreur de parler en public - surtout avant un concert, il perdait sa concentration en somme - et il nous a demandé : "Qu'est-ce que je pourrais bien dire ?" Alors on lui a préparé une courte phrase d'explication.
Mais il parlait assez bas, alors dès qu'il est entré en scène et qu'après nous avoir regardé d'un air désespéré, il a commencé la petite phrase que nous lui avions préparé : il y a une dame placée à l'arrière plan qui a crié: "Plus fort" ! Comme cela… vraiment grossièrement, alors il s'est arrêté, nous a regardé, a fait un geste de dépit et il a recommencé…
Le concert s'est néanmoins bien passé. Mais d'où nous étions, mon mari, mon frère et moi, nous voyons son sang qui coulait le long du manche du violon.
Le lendemain après le concert, il nous a dit : "Pour d'autres personnes cette légère blessure n'est rien mais pour moi, c'est dramatique". Cette année-là à Stavelot, il avait sept concerts à donner, il y en avait un de fait, celui de la veille, il lui en restait donc encore six à donner. Et il les a fait, il les a honoré… chaque jour, il y avait un chirurgien dans la salle qui venait mettre un pansement spécial sur son doigt blessé.

Moments d'après concerts
Mon mari, mon frère et moi nous suivions tous les concerts de Grumiaux - enfin tous les concerts qui avaient lieu en Belgique… que ce soit au nord, au sud ou au centre. Nous les avons tous vu à partir des années… 1968 disons. Mais tous, absolument tous, on quittait le bureau, on roulait en vitesse et on filait aux concerts. Nous sommes allé à Anvers, à Malines, à Gand aussi… un peu partout en Belgique.
Pour le Festival de Stavelot, nous prenions nos vacances et nous allions là-bas pour toute la période du festival. Nous descendions au même hôtel que Grumiaux, ce qui fait que nous avions quand même quelques contacts. Nous avons joué aux cartes ensemble, au scrabble.
Grumiaux était à la recherche de beaucoup d'amitié autour de lui. Il aimait d'ailleurs beaucoup mon frère, parce que mon frère aimait plaisanter - c'était un homme fort secret mon frère, mais quand il avait trouvé un auditeur… valable si j'ose dire, et c'était le cas, et bien alors il commençait à blaguer. Et ils blaguaient tous les deux, même en wallon, ils se parlaient en wallon. Enfin on a passé de beaux moments là-bas.
Après le concert, souvent nous mangions tous ensemble à la même table, alors Grumiaux était vraiment… c'était le soulagement, il était détendu, il se manifestait vraiment, il racontait des blagues… Enfin il était vraiment très très bien, grand amateur de bonne cuisine et d'un bon verre de vin - pas en abondance, mais il aimait boire un bon verre de vin en mangeant le soir. Mais les jours sans concert : en concert de l'eau, ce n'est pas possible autrement.

Concerts versus enregistrements
Qu'est-ce que je pourrais encore dire ? Il préférait le concert aux enregistrements.
Il détestait l'enregistrement parce qu'à un certain moment l'ingénieur du son ou bien lui-même demandait de refaire un tel passage et il disait que pour certaines choses ce n'est pas possible d'arrêter et de reprendre là où on est resté. Parce que c'est une pensée, une ligne, vous comprenez ? Vous faites un dessin, vous faites une ligne, si à ce moment-là on vous dit "Arrêtez !", vous ne pouvez pas reprendre à la même place. C'est très difficile de reprendre au même endroit avec la même aisance ou dans le même état d'esprit que lorsqu'on faisait le geste initial.
Lui qui jouait les trois quarts du temps tous les concertos de mémoire, qui suivait donc à chaque exécution sa "propre ligne", lorsqu'on l'arrêtait, qu'il devait recommencer là où l'ingénieur ou lui-même trouvait que ce n'était pas bien, il n'aimait pas du tout cela. Parfois on le faisait recommencer deux fois, trois fois… mais en général il rouspétait, il refusait.
Par après, il allait écouter avec l'ingénieur du son en cabine… et ils discutaient.
La dernière année où il a enregistré en 33 tours par exemple – les grands disques. Il y avait déjà trois disques qui étaient sortis : les trois Concertos de Bach, donc le 1041, le 1042 et le 1043 qui est pour deux violons. Le deuxième disque c'était les Saisons de Vivaldi et le troisième c'était le beau Quintette en ut de Schubert avec deux violoncelles.
Chaque année, je profitais de Stavelot pour lui demander de dédicacer les disques qui étaient sortis depuis un an – trois donc cette année là, il me demanda comme toujours mon avis : "Lequel des trois préférez-vous ?"
C'était assez scabreux, je dis : "Ecoutez pour moi je préfère Vivaldi, pas dans mon esprit, mais le disque, je préfère LE Vivaldi".
"Ah pourquoi ?" "Parce que là j'ai trouvé exactement l'expression que vous aviez mise lorsque vous l'avez donné ici à Stavelot. Je retrouve l'ambiance de ce soir-là".
"Ah c'est très bien, le deuxième ?" "Le deuxième, c'est le Bach".
"Ah c'est bien. Ainsi donc forcément le troisième c'est le dernier, pourquoi ?" "Pourquoi je dis ? Parce que… je ne sais pas, il y a quelque chose qui m'indispose. Je ne ressens pas l'ambiance qui avait ce soir-là au concert".
"Vous avez raison me répond-il : lors de la session d'enregistrement, nous avons essayé un tas de choses avec l'ingénieur mais il n'a pas pu obtenir ce que je lui demandait. Il n'y est pas arrivé… alors j'ai perdu patience et je suis parti, voilà".

Maredsous, la période de guerre et la libération
C'est en fait dès l'enfance que Grumiaux est rentré en contact avec l'abbaye de Maredsous.
Tout part d'un prêtre, un moine de Charleroi, le Père Boval qui souvent empruntait le train Charleroi-Bruxelles. Lors de ces voyages, il avait eu plusieurs fois l'occasion d'apercevoir ce gamin qui accompagné de son grand-père se rendait au Conservatoire de Bruxelles. Intrigué par l'enfant violoniste, le moine - qui était très sensible à la musique – a un jour sollicité l'autorisation de l'entendre. Le grand-père a obligeamment prié le gamin de jouer dans le train.
Le père Boval, conquis à l'issue de ce récital improvisé, les a convié tout deux à Maredsous, l'enfant et le vieil homme, afin de les présenter à ses condisciples.
C'est ainsi que l'histoire de l'amitié ente les moines de l'abbaye de Maredsous et Arthur Grumiaux s'est nouée.
Et lorsque la seconde guerre mondiale venue, Grumiaux a du à certains moments se cacher parce que les Allemands essayaient de l'inviter à jouer de la musique à leur profit, et que lui ne voulait pas s'exécuter – et qu'il désirait par ailleurs pouvoir rester en Belgique - cet asile monacal retiré devait lui servir quelques fois.
Il voulait effectivement rester en Belgique. Et si du reste, il a bien donné quelques concerts pendant la guerre, ce fût assez limité. Il a joué quelques fois avec le Quatuor Artis, et à part cela dans des salons privés - mais pas de grands concerts.
Il est néanmoins venu à Charleroi – enfin, c'est ce que disent nos archives. Il y est venu jouer pour un gala de bienfaisance… une ou deux fois peut-être – un gala pour les prisonniers de guerre, pour les épouses et les enfants des prisonniers de guerre. C'était pour le Secours d'hiver, je crois.
Et après la guerre, il est allé au sanatorium marin de Coq-sur-Mer. Il jouait pour les enfants là-bas, et Madame Grumiaux jouait avec lui. C'est elle qui présentait, qui expliquait la musique aux enfants.
Tout cela il le faisait bénévolement.
Il a été le premier à reprendre le violon à la libération, ce n'était même pas encore la fin de la guerre. La libération en Belgique c'était en septembre 44 - si je ne m'abuse, et déjà cette année-là, à la fin de l'année, il était à Londres. C'est comme cela qu'il a été pressenti par Columbia.
Il allait à Londres avec Léon Degraux. Il a fait bien des concerts avec Léon Degraux, ce fût son tout premier accompagnateur - à part sa marraine Ida Fichefet, évidement.

Entre violon et piano…
Grumiaux aimait beaucoup le piano également.
Et lorsqu'au sortir du Conservatoire de Charleroi, peu avant son départ pour Bruxelles, son grand-père le pressait de choisir l'instrument qui allait être sien pour le restant de ses jours – à Bruxelles, il serait impossible de continuer à mener de front les deux apprentissages puisque les cours d'interprétation, de musique de chambre, etc. viendraient se rajouter à un cursus déjà chargé – le jeune Grumiaux hésitait.
Evoquant cet épisode, il racontait toujours qu'il lui était impossible de se décider, qu'il ne savait pas, qu'il ne voulait pas choisir…
Son grand-père lui aurait dit alors que puisqu'il en était ainsi, il choisirait pour lui : "Tu as un an d'avance au violon ? Tu prendras le violon !"

Avec Clara Haskil, leur première rencontre – Prades, Festival Pablo Casals, 1952
Ils devaient jouer quelques sonates de Beethoven dont la 10ième, si redoutable. Ils travaillent l'œuvre environ une demi heure et immédiatement c'est l'entente parfaite… Le reste de l'après-midi de répétition se passe dans une pâtisserie devant une assiette de gâteaux ! L'accord entre eux est parfait, total.
Clara Haskil était toujours très anxieuse avant et pendant les concerts. Au début de leur collaboration, elle s'aperçoit un jour que Grumiaux n'avait pas de partition : c'est la panique ! Par la suite, afin de la rassurer, celui-ci prendra soin de toujours disposer devant lui une partition. Mais un jour, il l'oublie à l'hôtel… que faire ? Il prend une partition qui n'a rien à voir avec l'œuvre qu'ils doivent jouer ; il la place sur son pupitre ; Clara est rassurée… Jamais, il ne devait lui avouer cela.

Première apparition de Grumiaux aux USA – 1952
Aux USA l'usage du "Bis" est interdit. Grumiaux le sait.
Néanmoins son triomphe est tel que le directeur de la salle - craignant le pire – ordonne que l'on fasse une entorse… Et c'est devant un public en délire que Grumiaux s'exécute.

Le "sixième concerto de Mozart"
A Vienne, dans les années cinquante, la partition d'un sixième concerto pour violon de Mozart – alors que la tradition n'en connaissait jusqu'alors que cinq - a été présentée à Grumiaux. Il a enregistré l'œuvre bien qu'il avait la conviction qu'elle n'était pas de Mozart – ce qui devait être établi par la suite grâce aux travaux des musicologues. Il m'a confié que jamais il n'avait cru cette œuvre de la main de Mozart, il pensait qu'elle devait certainement être l'œuvre d'un élève français du maître.

Le "Printemps de Prague" – 1968
Les chars soviétiques envahissent Prague. Grumiaux doit y donner plusieurs concerts avec son ami Raphaël Kubelik. Devant la gravité des événements, Grumiaux interroge l'Ambassade : "oui, les concerts auront lieu". Il part donc et est accueilli à la gare par des militaires et c'est sous bonne escorte qu'il se dirige vers son hôtel. Après cela et à chaque fois qu'il doit travailler avec le chef et les musiciens, les militaires l'escorteront.
Kubelik est "prié" de partir, de quitter son pays avec sa femme, ses enfants et seulement quelques valises. Il demande à Grumiaux de signer un manifeste qu'il a soumis, pour signature, à quelques gloires du moment. Il lui demande également de ne plus se rendre à l'avenir en URSS pour y donner des concerts.
Grumiaux refuse sa signature mais donne sa parole d'honneur de ne jamais mettre les pieds en Union Soviétique. Kubelik est très choqué de ce refus d'autant que Y. Menuhin avait, lui, signé le manifeste…
Pourtant, si Grumiaux a tenu sa parole et ne s'est jamais rendu en URSS, parmi les signataires, par contre, il eu des parjures !