Témoignage : Père Adrien Nocent (1913-1996 )
Moine de l'Abbaye de Maredsous et professeur de liturgie aux Facultés universitaires Sant' Anselmo à Rome. Il était un ami de longue date d'Arthur Grumiaux.
Présenter la vie de Grumiaux en vingt minutes est une performance… aussi vais-je évidemment résumer ce qui à mon sens le caractérise le plus.
Et je dirais - il est bon de rappeler cela - que la vie d'un être humain à mon sens ce ne sont pas seulement ses activités - même les plus spectaculaires, et ce ne sont pas davantage ses gestes quotidiens, familiers, ni encore les incidents qui émaillent ces gestes familiers ; la vie d'un homme consiste plutôt en un point centrifuge qui le fait ce qu'il est, et qui n'est pas nécessairement accessible à tous, sans réflexion ni recherche.
Il s'agit de recherches difficiles, qui doivent rester délicates, mais entrer dans la vie d'un autre est toujours une activité extrêmement dangereuse et qui peut vraiment être une sorte de viol de la personnalité de quelqu'un.
Que connaîtrait-on de Grumiaux si on alignait seulement ses multiples et le plus souvent éclatantes prestations de concertiste ?
Si l'on racontait comme un secret dévoilé le temps qu'il passait à préparer un concert ? Si l'on se braquait sur les heurs que subit sa carrière, et les petitesses jalouses dont il fut hélas parfois l'objet ? Si l'on mettait en relief le don qui était sien, dès sa petite enfance – don devenu quasiment légendaire - du "la" absolu ? Si on soulignait l'arc étonnamment étendu des oeuvres qu'il exécutait ? Disons même… si on collectionnait ses billets de chemins de fer ou d'avion ? Ou si l'on s'étonnait de sa joie de conduire une voiture - alors que l'avion l'angoissait à un tel point qu'il refusa souvent des tournées aux Etats-Unis et au Japon ? Ou encore si on savourait avec lui les meilleures pâtisseries de Belgique et si on dégustait en sa compagnie les meilleurs crus ? Si on se rappelait l'une ou l'autre de ses réparties spontanées ? Si on partageait certaines de ses indignations fortes quand il se trouvait en présence d'une médiocrité acceptée ?
Et bien tout cela, et bien d'autres faits de la vie de Grumiaux, ne donne aucune vraie ouverture sur sa vie profonde. Ce n'est pas cela la vraie vie de Grumiaux.
Sa vie profonde était cachée à la plupart de ceux qui le voyait se mouvoir dans le temps banal. Dans tout cela c'est à la fois du Grumiaux mais étrangement ce n'est pas du tout lui… c'est superficiellement lui mais ce n'est pas lui.
Cependant pour le connaître, on ne peut pas faire l'économie de rappeler qu'il était carolorégien - plus précisément fleurusien d'éducation - et fier de sa qualité… qu'il aimait d'ailleurs à manifester parfois en utilisant la langue wallonne spécifique de son pays. Il aimait cela, il avait entendu cette langue tout jeune lorsqu'il habitait une maison toute simple dans l'un de ces quartiers ouvriers wallons où l'on se crie dans le rue - et sans recherche de mots - ce que l'on croit devoir se dire d'agréable ou de moins agréable, et où les commères concurrencent à belles dents les petits journaux locaux de l'époque.
Grumiaux est né le 21 mars 1921 à Villers-Perwin – qui est un petit village très modeste bien qu'il abrite le château des Dumont de Chassart. Puis ce fût Fleurus où sa mère se transféra ensuite et où Arthur grandit. Sur le territoire de l'entité, il y eût deux batailles : l'une dans laquelle Luxembourg, le Maréchal de France, vainquit les Hollandais et les Autrichiens en 1690 ; l'autre où Jourdan, lui aussi Maréchal, défit les Autrichiens en 1794.
Tout petit Grumiaux fut entouré de femmes. Il faut retenir cela, il fut entouré de femmes admiratrices : sa mère, sa grand-mère maternelle et surtout la tante Ida. Cette tante Ida jouait du violon dans un cinéma de Charleroi - le cinéma était muet à l'époque - et elle aimait ce jeune enfant plus que tout. En fait son mariage avait été raté et elle rejetait toute son affection sur le petit Grumiaux : lors de la naissance avant date de l'enfant, elle était là par hasard avec son fiancé et c'est sans doute à la présence de ce fiancé qui s'appelait Arthur que ce prénom, rare dans la famille, a été choisit pour notre Maître.
Je crois que le petit Arthur n'eut pas une enfance ordinaire toute occupée de jeux et de compagnonnage, il n'a pas eu une jeunesse comme tout le monde : il n'a pas connu par exemple les imprudences habituelles de l'enfance qui font crier les mamans d'angoisse et qui tout de même forment leurs petits. Je ne crois pas qu'il ait jamais pratiqué aucun sport un peu dangereux comme la natation ou même connu la violence relative du football… Ce n'était pas un homme des sports violents, et je ne lui ai jamais connu le goût du risque qui devrait cependant caractériser un jeune garçon, surtout à notre époque.
Non, rentré de l'école, il retrouvait son grand-père et ses leçons de musique et d'étude : une éducation d'enfant sage qui cependant ne l'a pas détruit mais qui lui a donné incontestablement une vision sérieuse de la vie, et surtout qui a décuplé sa sensibilité dans une sorte de solitude relative.
On peut attribuer à cet entourage à majorité féminine (qui sera conquise au-delà de toute mesure par les premiers succès de musicien de l'époque) son besoin - le plus souvent voilé, mais qui était évident - de tendresse. Tout cela me semble apparaître un peu sur la photo du petit Grumiaux, du petit Arthur qui est photographié debout sur un fauteuil et qui a cependant dans le regard quelque chose d'un peu mélancolique.
Heureusement, il y avait également l'énergie du grand-père. Si celui-ci lui apprit les rudiments du violon, il fit également plus que cela : c'est lui qui a rétabli l'équilibre dans l'entourage du jeune enfant entre la tendresse et la fermeté.
On retrouvait d'ailleurs dans le caractère de Grumiaux quelque chose de son grand-père : une fierté assez vite agacée quant il croyait, à tort et à raison, qu'on lui avait manqué d'égard. Et ce jeune élève du Conservatoire de Bruxelles fera déjà montre d'une hautaine dignité dans une lettre qu'il écrivit le 1ier décembre 1932 en réponse à des réprimandes disciplinaires que le directeur Joseph Jongen lui adressait par écrit. Sa réponse justificative fut polie mais sèche, et elle fit dire au secrétaire du Conservatoire, qui était Jean Vanstraelen à l'époque, à Alfred Dubois, le professeur de Grumiaux : "Il me semble que votre élève n'a pas très bon caractère". Ce à quoi le professeur Dubois répondit du tac au tac : "Vous voulez sûrement dire, cher Monsieur, qu'il a du caractère".
Mais avant de fréquenter le Conservatoire de Bruxelles, Grumiaux avait été admis très jeune au Conservatoire de Charleroi où il fut choyé par Monsieur et Madame Henri. Qui allèrent jusqu'à se rendre avec lui chez un tailleur pour lui faire confectionner un costume seyant, bien fait, à sa mesure, qui lui permette d'aller donner un concert à la Cour de Belgique.
Il travailla très bien dans ce Conservatoire, il pu y développer ses talents de violoniste… mais aussi de pianiste. Il connut en effet de grandes hésitations à choisir sa vraie carrière - il restera d'ailleurs toujours un excellent pianiste. Lors de ce choix difficile, ses maîtres tentèrent bien de l'aider, mais c'est l'intervention et l'autorité de son grand-père – qui tel une sorte de vieux capitaine tenant le cap d'un navire pris dans la tourmente – qui fût finalement décisive… lorsque, sans appel, il déclara : "Il y a beaucoup plus de pianistes que de violonistes, tu dois choisir donc le violon".
Grumiaux a toujours été très reconnaissant - je le sais, je l'ai entendu en parler expressément - envers ce Conservatoire de Charleroi où il avait reçu sa première formation et son élan. De plus, c'était le Conservatoire de son pays : Grumiaux n'a jamais renoncé à son pays de Charleroi, de Fleurus et de Villers-Perwin. Il était vraiment de ce pays et il y tenait.
Personnellement, je fis surtout sa connaissance quand il passa au Conservatoire de Bruxelles lors sa première visite à Maredsous. Il avait rencontré un de mes confrères dans un train et celui-ci l'avait amené à l'abbaye avec son grand-père… que j'ai donc connu aussi. Le grand-père pilote, il était le type du vieux capitaine de vaisseau, assez sec, assez dur, auquel il était difficile de résister. Quand il avait décidé quelque chose, je pense que le Souverain Pontife pouvait bien intervenir, c'était inutile : il aurait été repoussé avec fracas, avec tout le monde. Il avait décidé, c'était fini - une sorte de père éternel de la famille.
J'ai donc rencontré Grumiaux à cet instant charnière de sa vie et nous avons gardé depuis lors une très grande amitié - toutes ces années furent pour moi l'occasion de mieux le connaître.
J'avais déjà entendu parler de ce tout jeune violoniste de 11 ans, et je m'aperçus vite qu'il avait l'étoffe d'un maître. Ce qui me frappa - et ce qui ne cessera jamais de distinguer Grumiaux - c'est que déjà à 11 ans, il n'était pas "Grumiaux qui était violoniste", mais il était "le violoniste Grumiaux". C'est-à-dire qu'il n'y avait pas de distinction réelle entre le violon et lui. C'était lui, la musique et le violon… c'était Grumiaux.
Cette disposition n'est pas une chose expliquée, ou explicable, et c'est pourquoi en fait durant toute sa vie il s'est montré si peu loquace. Cela fera un peu le désespoir des journalistes et de tous ceux qui voulaient l'interviewer : cela tournait court très vite. C'est un exercice qui l'a agacé jusqu'à sa mort car ce qu'il avait d'important à communiquer, il se réservait de l'exprimer en faisant chanter son violon. Là il laissait libre cours à son expression ; pour le reste, il n'aimait pas s'user inutilement dans des bavardages.
Je me souviens quand il est venu à Maredsous ces premières fois.
A Maredsous à l'époque, je ne connais pas les détails mais on avait une sorte de recette pour fabriquer des violons. Et il y avait là un brave homme - qui à mon sens était plus ébéniste que luthier - qui a commencé à fabriquer quelques violons… Et j'en ai mis un dans les mains de Grumiaux : je vois encore son geste - le geste qu'il a gardé toute sa vie, j'ai toujours vu ce geste-là - il prenait le violon et glissait la main sur le manche… Je le vois encore dire : "Je n'aime pas ce manche"… Evidemment pour faire sonner un violon, on sait très bien qu'il suffit de mettre les cordes un tout petit peu plus haut : cela sonne un peu mieux mais alors évidemment les cordes deviennent comme du caoutchouc. Je le vois encore… et puis il joue deux notes, il dit : "Non". C'était terminé.
C'est tout à fait intéressant, et c'était aussi sans appel… comme son grand-père.
La préoccupation majeure de Grumiaux sera toujours la sonorité, bien davantage que l'acrobatie violonistique. Déjà tout petit, à 11 ans, quand il jouait une partita de Jean-Sébastien Bach, on devinait déjà chez lui une recherche d'expression dans le respect absolu du tempo et du style. Il avait déjà un style - il n'y a que lui qu'il l'aura comme cela d'ailleurs : deux mesures d'une Partita et on le reconnaît immédiatement !
Et disons-le sans plus attendre : à mes yeux - peut-être que je me trompe mais je crois que je ne suis pas le seul à le penser - Grumiaux sera de son temps.
Et il le reste, et il devrait le rester pour la plus grande utilité de notre époque. Il a été une sorte de contre-révolutionnaire qui se méfie du vide que peut comporter la recherche effrénée de l'acrobatie musicale. Il est clair que les nouvelles techniques de l'enseignement - et tout récemment encore - ont certes le mérite de permettre à l'élève de dépasser assez vite les difficultés violonistiques d'une partition mais Grumiaux n'a jamais prétendu et ne voudra jamais être un champion de la vélocité et de la virtuosité.
Il voudra être, et a été dans presque toutes ses interprétations, le champion de la sonorité souple, adaptée à ce qu'il croyait être la restitution d'une phrase dans le contexte d'une œuvre. C'est pourquoi il a toujours eu en suspicion les concours : il les trouvait utiles mais il en avait peur. Durant toute sa vie, et même quand furent créés à Namur - malgré de très mesquines et spectaculaires contestations - ses cours de perfectionnement, il n'a jamais cessé de protester contre ceux-ci.
Il s'élevait également contre les interprétations copiées grâce aux enregistrements sur d'autres interprètes aussi grands soient-ils. Il exigeait pour ses élèves des partitions nues, sans aucun doigté : ils devaient eux-mêmes trouver leur doigté, celui qui leur semblait le plus approprié à ce qu'ils voulaient exprimer selon la constitution de leurs mains et de leurs doigts.
Je crois que Grumiaux laisse ici un message - qui est peut-être un peu dur - qu'il a expliqué dans une interview en signalant ce qu'il appelle "la crise du violon". Cette crise du violon se résumait surtout pour lui dans un manque de personnalité du jeune musicien et dans la manie facile de l'imitation - dont il avait horreur.
Là-dessus il pouvait être brutal. Je me souviens d'un jeune violoniste, à Namur au cours de perfectionnement, lors d'une interprétation Grumiaux l'arrête : "Il ne s'agit pas de refaire ce que je fais. Si je vous ai fais l'interprétation c'était pour tenter de vous montrer comment vous deviez essayer de comprendre quelque chose… Donc, maintenant ne refaite pas cette interprétation tout de suite, rentrez chez vous, réfléchissez-y pendant une heure ou deux et puis refaite-la. Mais ne copiez pas, cela n'a aucun sens, c'est mauvais. Ce que vous venez de faire est mauvais parce que vous m'avez copié".
Maintenant retournons un peu en arrière : Grumiaux qui avait eu une enfance inhabituelle, déjà orienté vers une maturité précoce mais sans vieillir, eut aussi une enfance musicale également inhabituelle. Au moment où il terminait ses études, il n'eut pas dans sa vie une sorte d'hiatus entre le Conservatoire et le début d'une grande carrière épanouie. Chez lui cet épanouissement fut pratiquement immédiat, il est passé du Conservatoire à la renommée, rapidement, sans hiatus : sorti de l'écaille de l'œuf musical il n'a jamais balbutié, il a directement commencé à chanter à pleine voix.
Et le voici donc, tout jeune encore, en compagnie de grands chefs d'orchestre et de partenaires prestigieux. Je l'ai bien connu à ce moment-là, et s'il n'en a jamais tiré d'orgueil à aucun moment non plus il n'a semblé troublé par tous ces grands qu'il côtoyé. Cela lui semblait absolument naturel et je ne lui ai jamais entendu faire une réflexion craintive ou étonnée à ce sujet !
Inconscience, naïveté ? Je ne crois pas. Plutôt chez lui une joie de vivre finalement en plein dans la musique qui était sa vie. Et cette musique qui est en lui, elle lui permet de s'exprimer en devenant de plus en plus son vrai et presque exclusif moyen de communication.
C'est ce qu'il recherchait, comment communiquer quelque chose, si il devait jouer devant une unique vieille femme dans une salle c'était pour lui un devoir sacré de lui communiquer quelque chose comme si il y avait eu deux mille personnes, c'était l'interprète d'une oeuvre et là jamais il n'entendait la trahir.
Je me souviens de son énervement quand, assistant par hasard à une célébration chez nous, il entend le président de la célébration chanter mal. Il me dit : "Ce n'est pas parce qu'il chante mal, c'est parce qu'il n'a pas préparé ce qu'il doit chanter. Il n'a donc pas le sens de ce qu'il fait". Il était vraiment furieux. Il avait raison : "Il n'a pas le sens de ce qu'il fait, sinon il exprimerait ce qu'il a à dire". Tout à cette joie, tout à cette découverte en somme, il n'a pas le temps de se regarder, il n'a pas le temps de réfléchir son cas dans une auto-psychanalyse, mais il vit et il vit intensément ce qu'il joue. Il réfléchira avant, il réfléchira après, pas quand il joue, il jouera intensément.
Il faut rappeler aussi de grands accompagnateurs et parmi ceux-ci il y avait Clara Haskil, il y avait Arrau, il y avait Léon Degraux qui je pense est un carolorégien qu'il aimait beaucoup et Hajdu qui l'accompagna sans doute le plus souvent, mais il en est un autre ici présent, qui donna plus de quarante, quarante-deux, quarante-cinq concerts avec lui, je vais nommer le maestro Eugène Traey qui est ici parmi nous et qui nous a parlé ce matin et s'apprête à nous donner quelques souvenirs personnels.
Evidemment une telle carrière fulgurante ne peut pas se réaliser sans des rencontres qui aidèrent puissamment tel son éminent professeur Alfred Dubois, Georges Enesco, dont il apprécia mieux plus tard les conseils, des importantes personnalités musicales, aussi des admirateurs et admiratrices comme Madame Marie-Thérèse Ullens de Schoten mais tout serait faussé si l'on ne mettait pas en avant sa rencontre avec Amanda Webb qui devint sa femme et n'hésita pas à sacrifier sa propre carrière, elle était première violoniste du quatuor belge, au service de celle de son mari.
Grumiaux était arrivé en fait dans le monde musical comme un petit provincial - un petit provincial très déluré déjà - mais malgré tout il était là. Déluré pour la musique mais pour le reste n'ayant vraiment pas beaucoup de sens de la vie du monde - choyé, entouré de femmes qui lui préparaient tout, etc. Il n'était pas aguerri pour la lutte.
Et là sa femme l'a aidé puissamment. La culture d'Amanda Webb et sa sensibilité musicale ont transmis à Grumiaux une confiance qui lui donnait de l'assurance : il me dit une fois qu'il considérait sa femme comme l'un des meilleurs critiques et il n'était pas rare lors de la préparation d'un concert, j'ai assisté à cela, qu'il l'appela , l'a fit monter pour écouter un trait et lui demander ce qu'elle en pensait, il l'interrogeait surtout sur la sonorité de son violon.
Cette sonorité devint de plus en plus pour lui une continuelle préoccupation, une angoisse quasi - et une torture aussi pour ses luthiers il faut bien le dire, l'un deux reconnaît que Grumiaux se trouvait parfois troublé par un défaut de sonorité que personne d'autre que lui ne sentait à certains moments… En fait cela semblait pratiquement une manie d'artiste mais finalement le luthier lui-même constatait qu'il avait raison, il entendait des sonorités que d'autres n'entendaient pas facilement.
Ensuite, il fut professeur - à la suite d'Alfred Dubois. Est-ce qu'il était bon ou mauvais professeur ? On a dit un tas de choses là-dessus, on l'a souvent critiqué et cependant il y a des témoignages détaillés comme ceux de Mademoiselle Quersin qui a été très longtemps son assistante et professeur-adjoint, et ceux de beaucoup d'autres qui affirment exactement le contraire.
Seulement il était lui Grumiaux. Ce n'était pas un professeur prêt-à-porter, il fallait écouter ce qu'il disait et il répétait au maximum deux fois une remarque. Après deux fois si on n'avait pas compris, il laissait tomber. Il était comme il était, mais quand il sentait devant lui un vrai disciple et c'était le cas de Toyoda par exemple, il devenait comme un père pour lui. Allant, s'il n'y avait personne à la maison, jusqu'à lui faire la cuisine et partager avec l'élève ce qu'il avait préparé.
En tant que professeur, il fallait le suivre et essayer de comprendre ce qu'il disait.
Voilà je ne vais pas continuer, déjà le temps est passé mais j'ai tenté de présenter Grumiaux suivant les caractéristiques essentielles de sa personnalité, et à travers le message qu'il donne. Notre époque est quand même portée par une musique de technique, de vélocité et je pense que la "pensée avant une interprétation" commence à manquer et que nous risquons ce que Grumiaux appelait la "musique carte postale". Cela l'angoissait très fort et je pense que c'est un message qu'il nous donne et auquel nous devons réfléchir profondément.
Sa sonorité ne passe pas… et, même après sa mort dans la nuit du 15 octobre 1986, aujourd'hui encore nous ne cessons de l'entendre avec une émotion profonde faire chanter son violon avec son ampleur et sa sonorité typique - qui est vraiment sienne et qui fait qu'on le reconnaît au milieu de dix solistes. On entend… et on le reconnaît "c'est Grumiaux", même si le speaker ne dit pas qui vient d'interpréter la sonate ou le concerto.
Je crois que c'est une grande joie que nous ayons pu consacrer toute cette journée à sa mémoire.
Merci bien.