Les Festivals
Arthur Grumiaux a commencé à se produire assez tôt dans les festivals, tant sa renommée avait très vite atteint un grand rayonnement. Sa participation aux festivals, qu'il ne boudait jamais, lui donnait l'occasion de rencontrer de grands artistes et, souvent, de nouer avec eux des liens d'amitié. C'est à un festival qu'il eut l'occasion de rencontrer Clara Haskil et ce fut le point de départ de leurs tournées de concerts et de leurs enregistrements.
Le Festival Pau Casals.
En juin 1953, il était invité par Casals lui-même à son festival de Prades, où il était allé la dernière fois en touriste. On ne peut résister à présenter une lettre de Grumiaux à sa femme. Sans doute y assiste-t-on à son triomphe mais on découvre aussi de l'intérieur les petits côtés d'un festival que doit dépasser un artiste :
"26 juin 1953, les répétitions du concerto, du quatuor et des sonates ont pris tellement de temps que je n'ai même pas vu les environs de Prades, qui sont beaux, paraît-il. L'atmosphère est, comme je le craignais, assez... mauvaise. Il y a des clans qui se jalousent. Le pauvre Krachmalnich, en tant que concertmaster, en ressent les effets et toutes sortes d'ennuis. L'orchestre est composé de quelques concertmasters d'orchestres américains : tu comprends que chacun voulait être au premier pupitre... Tant pis pour celui qui s'y trouve. Je te raconterai tout cela de vive voix. Mon premier concert, celui avec Clara Haskil , fut, paraît-il, magnifique. J'ai eu la plus grande joie de jouer avec cette artiste magnifique, grande musicienne et... d'une modestie que beaucoup feraient bien d'imiter. Je pense que la sonate a sonné remarquablement (tu vois, je suis le premier à manquer de modestie). Tu pourras entendre la retransmission différée de ce concert. Nous avons eu un succès extraordinaire. Mon second concert, le concerto en sol de Mozart avec Casals, fut un triomphe. Casals me faisait des sourires : il jubilait. Et, chose remarquable et unique, il m'a demandé mes tempi parce que, m'a-t-il dit, il voulait les prendre exactement comme je les désirais ! Krachmalnich a été d'une camaraderie et d'un "dévouement" extraordinaire pour moi. Ayant remarqué que le "Titien" sonnait encore mieux lorsque je le jouais avec son magnifique Tourte, il me l'a spontanément prêté pour jouer le concerto en sol et m'a dit que je pouvais le garder pour le concert aussi. Ne trouves-tu pas que peu de... collègues seraient capables d'un tel geste d'amitié ? Demain, dernier concert : quatuor avec piano et 1ère sonate de Beethoven. Ce soir, répétition de la sonate (avec William Kapell) et, ensuite, un peu de quatuor pour le plaisir"
Cette lettre nous fait découvrir un aspect du caractère de Grumiaux. Sans doute, il est conscient de son talent et c'est une attitude légitime, nullement entachée d'orgueil, c'est la simple reconnaissance d'un fait. Il n'est pas limité à lui-même, nous le voyons capable d'estimer d'autres musiciens et de jouir de leur musique. Il n'aime pas l'allure de dédain souvent adoptée par des musiciens et ressent comme une leçon pour tous la modestie de Clara Haskil. On le retrouve soucieux de la sonorité de son violon et le voilà touché de la délicatesse de Krachmalnich qui lui prête son Tourte.
Ce sont de ces gestes qui impressionnent fortement Grumiaux et, pourrait-on dire, le rendent meilleur et mieux disposé à l'optimisme envers les humains. Très émotif, il avait un visage expressif et très mouvant, si bien qu'il n'était pas simple de le photographier; il ne réussissait pas à dissimuler ce qu'il ressentait de joie, de peine, d'indignation, d'enthousiasme, d'ennui.
Les festivals de Stavelot.
Stavelot est une petite cité belge de la vallée de l'Amblève. Il s'y trouvait jadis une célèbre abbaye bénédictine fondée par Saint Remacle, dont ne subsistent plus aujourd'hui que certains bâtiments, encore très beaux, tel l'ancien réfectoire. Mais avant que ne débutent ses festivals, elle était beaucoup moins connue que la région voisine de Francorchamps, depuis longtemps internationalement réputée pour ses grandes courses automobiles.
En 1957, une famille de Stavelot créait une "semaine musicale" de musique de chambre, en hommage à Octave Micha, récemment décédé. Les initiateurs en étaient son fils Raymond, ses proches et ses amis, qui avaient choisi comme cadre l'ancien réfectoire de l'abbaye. En 1958, la semaine était devenue une quinzaine; la renommée des concerts ainsi que la beauté du site attirèrent un public de plus en plus nombreux, si bien que Raymond Micha décida d'instaurer une double audition de chaque concert et d'étendre la durée du festival à trois semaines.
En 1962, le festival devient plus important encore. On a bien l'impression que Grumiaux rêve de faire de Stavelot son "Prades". Il propose à la direction du festival de ne plus se limiter à un concert de temps en temps mais de s'associer à l'événement d'une manière plus constante et active. Il se fait fort d'obtenir un soutien financier de la part de sa maison de disques. De fait, au mois de mai, parvient à Stavelot un don de 10.000 florins. Alex Saron, l'un des directeurs artistiques de Philips, était intervenu auprès de la direction de la firme. Pour Stavelot, un associé aussi prestigieux que Grumiaux, qui apporte de surcroît une aide matérielle non négligeable, est une aubaine inespérée. Aussi, à partir de 1962, lui laisse-t-on programmer ses interventions quasiment à son gré et réaliser ainsi son rêve de "Prades du Nord".
Il est difficile de connaître les réflexions personnelles de Grumiaux quand il pense au festival de Stavelot. Tout ne s'est pas toujours réalisé comme il l'aurait voulu, il n'a pas toujours pu réunir les partenaires qu'il désirait, pour des raisons de maladies ou d'engagements, au moment où il les aurait voulu près de lui. Tout cela n'est pas pour lui plaire. Il est devenu assez exigeant et il s'exaspère facilement quand tout ne se réalise pas selon ses désirs. Il a toujours été un peu comme cela mais il semble que ces impatiences soient devenues plus sensibles dans les derniers temps. Les motifs de cette humeur ombrageuse ?
Sans nul doute, sa santé, qui se détériore quelque peu, et son affectivité, qui ne peut que s'amplifier à force de rechercher l'expression musicale. Il n'est pas aisé de se couper en deux...
Hommages
En 1972, le roi Baudouin confère à Arhur Grumiaux le titre nobiliaire de baron.
En 1977, il est fait citoyen d'honneur de son village natal, Villers-Perwin. Il a inauguré une plaque commémorative sur la façade de sa maison natale et a offert un concert qui a réuni plus de 500 personnes dans la petite église du village.